Quel statut choisir pour son activité de freelance ?
Faut-il exercer en tant que personne morale ou physique ?
La question peut sembler abstraite, mais elle se pose pourtant dans les faits lorsque l’on hésite entre l’entreprise individuelle et une forme plus élaborée comme l’EURL ou la SASU.
Pour aider les travailleurs indépendants, le législateur fait de plus en plus converger les différents statuts, en apportant de la souplesse mais aussi beaucoup de confusion aux entrepreneurs que nous sommes. Nous allons tâcher d’y voir un peu plus clair.
Comment exercer une activité en tant que freelance ?
C’est quoi un freelance au fait ?
Définition :
Le terme travailleur freelance ou freelance tout court (freelancer en anglais) désigne un travailleur indépendant qui vend des prestations de service à différents clients.
Exemple : programmeur, rédacteur, coach, formateur, graphiste.
Le freelance vend des services et non des biens physiques. Il n’est ni un commerçant ni un artisan. Il exerce une profession libérale non réglementée et déclare des BNC (bénéfices non commerciaux) lorsqu’il choisit d’être entrepreneur.
Il y a plusieurs façons d’effectuer ce type d’activité :
- En recourant au portage salarial, c’est-à-dire en étant payé par une entreprise de portage qui sert d’intermédiaire entre le travailleur indépendant et le client
- En faisant partie d’une association
- En créant une entreprise
Ceux qui créent une œuvre unique ou dont la rémunération relève essentiellement du droit d’auteur payé par des diffuseurs doivent opter pour le régime d’artiste-auteur. Cela peut concerner aussi bien un graphiste qu’un rédacteur ou même un auteur de logiciel.
Nous allons nous intéresser dans cet article uniquement au choix de la création d’entreprise pour l’exercice d’une activité freelance.
Différence entre personne physique ou morale. Cas du freelance.
En droit une personne est un sujet de droit qui possède des droit et est soumis à des obligation. Ces personnes sont :
- Des personnes physiques, c’est-à-dire des êtres humains
- Des personnes morales, c’est-à-dire des entités abstraites dotées de personnalité juridique : état, association, entreprises
L’entrepreneur est à la base une personne physique, et un freelance entreprend généralement en son nom propre. Cependant, un freelance va avoir le choix entre les deux types de personnalité juridique.
Une entreprise est une entité dont l’objet est la vente de produits ou de service. Dans le cas d’un freelance, l’entreprise est, dans les faits, unipersonnelle. Il y a deux types d’entreprise possibles pour un freelance :
- S’il agit en tant que personne physique : les entreprises individuelles (EI) dont les auto-entreprises
- S’il préfère agir à travers une personne morale : les EURL ou SASU, des entreprises dont le statut dérive de celui des sociétés commerciales. Il s’agit de sociétés nécessitant un apport en capital.
Le fait qu’une entreprise soit indissociable de l’entrepreneur dans le cas des entreprises individuelles est un peu absurde, mais il faut faire avec. Cela a des conséquences fâcheuses en terme de responsabilité, que le législateur a été obligé de corriger.
Entreprendre en tant que personne physique : le plus simple
Le statut correspondant est celui de l’EI ou Entreprise Individuelle. L’auto-entreprise est une EI sous le régime fiscal et social de la micro-entreprise.
L’entrepreneur individuel agit en tant que personne physique et exerce en son nom propre, ce qui est assez logique pour une activité de freelance, indépendamment des autres considérations. Exemple : « Jean Dupont EI ». Il n’est pas possible de facturer avec un nom commercial comme « TopGraphisme ».
Avantages :
Formalité et comptabilité simplifiée. L’inscription est rapide et peu couteuse. Pas de statut à rédiger. Aucun capital nécessaire. Pas besoin de compte bancaire professionnel pour démarrer.
Jusqu’en 2021 : le patrimoine de l’entrepreneur et de celui de son entreprise étaient confondus, sauf en ce qui concernait l’habitation principale. Cela posait un problème en cas de dette ou de faute professionnelle. Pour protéger l’entrepreneur individuel, avait été créé l’EIRL (Entreprise Individuelle à Responsabilité Limitée), mais le plan indépendant de 2021 prévoit sa suppression et une protection automatique de tous les entrepreneurs individuels.
Ce plan prévoit en effet que le patrimoine de l’entrepreneur devienne par défaut insaisissable, sauf ce qui concerne son activité professionnelle : pour les EI créées après promulgation de la loi ou pour les créances antérieures dans le cas des anciennes EI. Il prévoit de lever un autre inconvénient : la transmission complexe du patrimoine de l’entrepreneur individuel à celui d’une société, pour développer son activité ou s’associer à un autre entrepreneur.
Inconvénient des EI :
Impossible de prendre un associé. Il faudra créer une nouvelle entreprise et procéder à des apports.
Entreprendre comme personne physique est avantageux pour un freelance surtout si l’on choisit le statut de micro-entrepreneur : faibles contraintes administratives, régime de franchise de TVA de base et abattement pour calculer l’impôt sur le revenu. Le fonctionnement est souple et peut s’adapter à l’activité de l’entrepreneur, tant que celui-ci n’a pas d’associés.
Le régime micro est possible pour les personnes physiques et morales !
On peut donc opter pour le régime fiscal et social simplifié de la micro-entreprise si l’on est une personne physique, mais aussi une personne morale, dans le cas des EURL imposées à l’IR. Dans tous les cas, le CA annuel est inférieur à 72 500 € HT.
Avec le régime micro-BNC, seul un livre des recettes est exigé par l’administration. Pas de dépôt de compte au greffe, pas de bilan comptable, pas d’expert-comptable.
Le statut EI plus régime micro BNC (en d’autre termes, l’auto entreprise) est le plus avantageux fiscalement pour un freelance débutant : charge sociale de 22,2 % sur le chiffre d’affaires plus la CFE (cotisation foncière des entreprises). Sur 1000 € de chiffre d’affaires il en reste 871 € après charges, hors CFE et impôt sur le revenu, contre 682 € avec une EI/EURL à l’IR normale et 703 € HT en régime micro. Voir le simulateur de l’Urssaf.
En outre, le micro-entrepreneur débutant ne collecte pas la TVA et bénéficie en plus d’une simplification en ce qui concerne les charges puisqu’il ne calcule rien et bénéficie d’un abattement de 3.4 % à la place. Au-delà de 34 000 € HT de CA, il faudra collecter la TVA. Si l’on a beaucoup plus de charges, on peut demander à déclarer ses frais réels, même avec un faible chiffre d’affaires.
Si l’on opte pas pour le régime de la micro entreprise en EI ou EURL, il faudra payer une cotisation forfaitaire de début d’activité de plus de 3500 €/an même si l’on n’a aucun chiffre d’affaires contre un peu plus de 1000 € en régime-micro.
Si l’on souhaite être micro-entrepreneur freelance, autant opter pour le statut d’entrepreneur individuel, puisque la création est plus simple et qu’il n’y a pas de frais. À moins d’envisager de prendre des associés ou de développer fortement son activité.
Exercer en freelance en tant que personne morale : peu d’intérêt
L’activité d’un freelance a un objet commercial, lucratif. Il n’est pas un médecin ou un notaire et ne peut pas créer de société civile, mais il pourra créer une société commerciale hybride où il est le seul associé – la SARL devient une EURL (Entreprise Unipersonnelle à Responsabilité Limitée) – ou bien le seul actionnaire – la SAS devient alors une SASU (Société par Action Simplifiée Unipersonnelle).
Par défaut les bénéfices d’un gérant d’EURL sont considérés comme des revenus, sur lesquels il est imposé, alors que par défaut un actionnaire unique de SASU est soumis par défaut à l’impôt sur les sociétés, IS (impôt payé par la société sur les bénéfice). Il est possible de choisir l’un ou l’autre type d’imposition.
Avantage des personnes morales :
Plus de crédibilité, surtout si le capital social est élevé, et un nom commercial. On peut faire évoluer facilement l’entreprise et prendre un ou plusieurs associés.
On a vu que les EURL peuvent aussi opter pour le régime simplifié de la micro-entreprise, si elles sont imposées à l’IR et que le chiffre d’affaires est inférieur à 72 600 € HT, mais les charges sont un peu plus élevées et c’est plus compliqué au niveau administratif.
Avantage de la SASU : la possibilité de ne pas se rémunérer du tout, sans charge, ou de se rémunérer en dividende sans salaire, sans droit à la retraite et donc sans charges sociales élevées (on peut bénéficier de la flat tax à 30 % voire demander l’imposition au barème progressif en cas de faibles revenus), ce qui est très pratique pour une activité complémentaire salariée ou non, mais pas pour une activité unique de freelance.
En effet dans la SASU le président se verse un salaire qui est fortement taxé. 1000 € de salaire brut devient 531 € de salaire net. Pas d’intérêt pour un freelance lorsque c’est son activité principale.
Le saviez-vous ? Les personnes morales, EURL, SASU peuvent opter pour l’impôt sur les sociétés (IS), mais également les Entreprises Individuelles (EI et EIRL), ce qui n’a pas beaucoup de sens, mais c’est comme ça. Le taux peut-être plus avantageux que celui de l’IR : 15 % en dessous de 38 120 € de bénéfices, 25 % au-delà. La rémunération est déduite des bénéfices et taxée à 45 %. En modulant la rémunération on peut moduler le taux de l’IS.
Avec l’IS, les bénéfices réinvestis ne sont pas taxés, c’est très avantageux pour développer son entreprise, surtout si l’on s’accorde une rémunération modeste. Mais est-ce intéressant pour un freelance ? La réponse est non.
Inconvénients de l’entreprenariat à travers une personne morale :
C’est nettement plus compliqué en matière administrative. Pour la création il faut rédiger des statuts, déposer un capital dans une banque ou chez un huissier (Désormais on peut créer une société avec seulement 1 € de capital, mais ce n’est pas forcément bon pour la crédibilité.), se rendre au centre de formalité des entreprises (CFE) et faire un chèque, choisir le régime de TVA et le mode d’imposition, déposer les statuts. On peut aussi se faire assister d’un expert-comptable, mais c’est encore plus cher.
Tout ceci est plus contraignant que la création d’un EI en micro-entreprise, qui se fait en ligne, est gratuite et ne nécessite pas de rédiger des statuts.
Mis à part les EURL qui ont choisi le régime de la micro-entreprise, il faudra fournir un compte de résultat et un bilan. Vous aurez aussi besoin d’un expert-comptable pour valider vos comptes chaque année avant de les déposer au tribunal de commerce. Encore des dépenses.
Sauf pour les EURL à l’IR en régime micro-social, il faudra payer une cotisation forfaitaire dès le début de plus de 3500 € annuel, même sans chiffre d’affaires.
On voit mal l’intérêt de passer en EURL ou en SASU lorsque l’on exerce une activité de freelance et que cette activité est la source principale de ses revenus.
Conclusion : quelle personnalité juridique pour un freelance ?
Même lorsque l’on est entrepreneur depuis des années, il est difficile de comprendre le cadre juridique de l’entrepreneuriat et ses contradictions, aggravées par les évolutions au fil des ans : protection du patrimoine des personnes physiques, possibilité d’opter pour l’IS même en tant que personne physique (pas très logique), choix du régime micro possible pour une EURL… Bref on se demande si l’on ne va pas finir par arriver à un statut unique des entreprises.
En attendant un essai de clarification dans ce tableau :
Personne physique | Personne morale | |
---|---|---|
Type d’entreprise | EI (dont autoentreprise), EIRL | EURL, SASU |
Capital social | Non | Obligatoire |
Ajout d’associés ou d’actionnaires | Non | Possible |
Frais de création | Non | Oui |
IR (impôt sur les revenus) | Par défaut | EURL : par défaut SASU : optionnel |
IS (impôt sur les sociétés) | Optionnel | EURL : optionnel SASU : par défaut |
Régime micro-entreprise | Possible | Possible si EURL à l’IR |
Entreprendre à travers une personne morale, en l’occurrence EURL ou SASU, est plus complexe et coûteux.
Depuis le «plan indépendant» de 2021, le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel EI, qui est une personne physique, est mieux protégé. La simplicité administrative tout au long de la vie de l’entreprise demeure. L’entrepreneur en EI peut être amené à déclarer la TVA au-delà d’un certain chiffre d’affaires, mais cela ne concerne pas l’entrepreneur débutant, même chose pour le passage au frais simplifiés ou réels. L’entrepreneuriat à travers une personne morale perd de son intérêt.
Pour une imposition sur les revenus, l’EI sous forme d’autoentreprise nous semble beaucoup plus simple et avantageuse que l’EURL, même si celle-ci bénéficie du régime de la micro-entreprise.
En bref : à notre avis, la plupart des freelances ont intérêt à démarrer en tant que personne physique, à travers une EI sous le régime de la micro-entreprise.