Une entreprise française qui refuse de verser un salaire sur le compte d’une néobanque basée en Allemagne ?
C’est un exemple de discrimination à l’IBAN et c’est en principe interdit. Malheureusement, cela n’est pas rare.
Qui est touché ? Quelle est l’ampleur du problème ? Comment dénoncer ce type d’infraction à la réglementation européenne ?
Nous avons interrogé Magali Van Bulck, directrice des affaires publiques européennes, de Wise, un compte multidevise dont les clients sont basés dans toute l’Europe. Wise s’est engagé dans la lutte contre ce type de discrimination à travers notamment une plateforme en ligne.
Un problème pour les usagers et les néobanques
Magali Van Bulck : « Bien qu’elle soit interdite par la loi depuis dix ans, la discrimination à l’IBAN reste un problème majeur pour les consommateurs et les entreprises. Dans l’incapacité d’accepter et d’émettre des paiements, ils sont totalement bloqués.»
« Il s’agit également d’un problème sectoriel pour les fintechs, qui proposent souvent un seul IBAN pour l’ensemble de l’UE. Alors que cela devrait permettre à nos clients de payer et d’être payés partout dans l’UE, la réalité est souvent différente. La lutte contre la discrimination à l’IBAN et le manque de respect de la loi obligent les fintechs à consacrer une quantité considérable de ressources à la recherche de solutions.»
Pour information, l’IBAN est le numéro européen d’identification du compte, précédé des deux lettres du pays de l’établissement financier. Un IBAN français commence par FR, un IBAN italien par IT, etc.
Comme indiqué par Magali Van Bulck, les fintechs que sont les néobanques imposent souvent un IBAN commençant par les mêmes lettres à tous leurs clients, quel que soit leur pays. Par exemple, jusqu’à une date récente l’IBAN des clients français de la néobanque allemande N26 commençait par DE.
Lancement de la plateforme « Accept My IBAN »
Wise, établissement de paiement basé en Belgique, qui compte des clients dans toute l’Europe a vu ceux-ci se heurter au problème de la discrimination à l’IBAN et a entrepris de réagir.
La France reste le pays le plus touché par la discrimination à l’IBAN, avec 31% des cas.
« En 2021, Wise et d’autres fintechs ont décidé de prendre les choses en main et d’unir leurs forces pour aider à résoudre ce problème. Sur Acceptmyiban.org, les consommateurs et les entreprises peuvent facilement signaler des cas de discrimination, où qu’ils se trouvent et quel que soit leur établissement bancaire. »
« Les résultats sont régulièrement communiqués à la Commission européenne afin de permettre aux autorités de se faire une idée précise des circonstances exactes de la mise en œuvre de ces pratiques illégales .»
« Aujourd’hui, plus de 30 fintechs (Wise, Revolut, Klarna, N26…) font partie de la coalition Accept my IBAN, toutes animées par le même objectif : mettre fin à la discrimination par l’IBAN. »
Encore des discriminations fin 2023, surtout en France
D’après l’article « Accept My IBAN: over 1000 cases of IBAN discrimination » de 2021 publié sur le blog de Wise, la France était particulièrement touchée par cette situation suivie de l’Espagne, de l’Allemagne et dans une moindre mesure de l’Italie. Où en est-on fin 2023 ?
« Depuis 2021, les consommateurs ont déposé plus de 3400 plaintes via la plateforme « Accept my IBAN » alors que la discrimination par l’IBAN est illégale depuis 2014. La France reste le pays le plus touché (31% des cas), suivie de l’Espagne (21%) et de l’Allemagne (14%). »
« Ce problème concerne aussi bien les particuliers que les entreprises ; les services financiers et les télécoms sont en réalité les plus grands contrevenants. Chaque mois, des centaines de personnes se plaignent de ne pas pouvoir payer leur contrat de téléphone, leur loyer, leur abonnement à un journal, leur facture d’électricité, leur abonnement à une salle de sport ou aux transports en commun. »
Des administrations récalcitrantes
On pourrait penser que les entreprises privées sont les seules contrevenantes, mais il semblerait que ce la ne soit pas le cas :
« Ce qui est encore plus inquiétant, c’est que dans certains cas, un IBAN commençant par les « mauvaises » lettres peut empêcher les consommateurs de bénéficier de réductions d’impôts, d’allocations chômage et de prestations de sécurité sociale. »
« En France, l’assurance maladie et les autres systèmes de sécurité sociale sont particulièrement sujets à la discrimination par l’IBAN. »
Cependant, la discrimination à l’IBAN ne concerne pas seulement l’administration :
« Ce problème empêche également les entreprises de se développer dans toute l’Union européenne, car elles ne peuvent pas payer leurs fournisseurs ou recevoir les paiements de leurs clients. »
Que faire si l’on est victime de discrimination ?
Du point de vue pratique, que peut faire le particulier ou l’entreprise qui est victime de discrimination à l’IBAN ?
« Si une personne ou une entreprise a été victime d’une discrimination en matière d’IBAN, elle doit déposer une plainte auprès de l’autorité nationale compétente du pays, par exemple auprès de la DGCCRF en France, en fonction du lieu de l’infraction. On peut également porter plainte auprès de la Commission européenne. »
« Cependant, savoir où et comment déposer une plainte peut s’avérer compliqué, c’est pourquoi nous avons créé le site web AcceptmyIBAN.org – uniquement en anglais pour l’instant. »
Ci-dessous, le début du formulaire du site Accept My IBAN :
À quoi sert exactement cette plateforme ?
« Les internautes peuvent rapidement remplir un formulaire expliquant ce qui s’est passé et nous nous occupons du reste : nous recueillons toutes les plaintes, nous les transmettons aux autorités compétentes au niveau européen et nous effectuons un suivi auprès d’elles pour nous assurer qu’elles sont au courant du problème. »
Une priorité politique
Plus de deux ans après le lancement d’Accept My IBAN, on peut se demander si la situation a évolué et si les plaintes pour discrimination à l’IBAN continuent d’être recueillies sur la plateforme.
« Nous avons triplé le nombre de plaintes recueillies sur le site web depuis 2021. Cependant, Accept My IBAN a contribué à faire de la discrimination par IBAN une priorité politique, les commissaires européens s’étant engagés à s’attaquer à cette pratique. »
En octobre 2021 le parlement français a modifié la loi afin de permettre au consommateur de signaler des cas de discrimination à l’IBAN et de les sanctionner plus fortement. La DGCCRF a bénéficié de pouvoir de sanctions étendus et à ouvert sa propre plateforme de signalement intitulée Signal Conso, qui est ouverte à la dénonciation des discriminations à l’IBAN.
« Bien que nous n’ayons pas connaissance de cas d’application de ces sanctions en France, nous sommes convaincus qu’une application plus stricte de la loi – y compris des amendes – est la bonne stratégie pour lutter contre la discrimination à IBAN. »
Bientôt la fin des discrimination à l’IBAN ?
Voici la conclusion de Magali Van Bulck :
« L’interdiction de la discrimination par l’IBAN est l’une des règles les plus claires de la réglementation des services financiers et pourtant, la discrimination par l’IBAN est encore largement répandue. »
« Cependant, les nouvelles propositions de règlement sur les services de paiement (ex. PSD2) actuellement négociées au niveau de l’UE peuvent être l’occasion de mettre enfin un terme à la discrimination par l’IBAN. Tout d’abord, en introduisant des règles plus strictes contre la discrimination par IBAN et en donnant aux régulateurs les moyens de faire respecter ces règles (y compris par des sanctions). »
« Mais nous devons également aider les clients à connaître leurs droits et à savoir où déposer plainte. C’est pourquoi notre coalition « Accept My IBAN » demande également aux autorités de créer un portail européen et d’étendre l’interdiction à d’autres devises de l’UE. Nous avons récemment envoyé une lettre à la Commission européenne pour lui faire part de nos propositions en vue de résoudre ce problème. »
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